Portraits d’acteurs Léa Pelletier-Marcotte et Alia Amimi

,

Portraits d’acteurs sur la conférence AFRAVIH 2018 samedi 7 avril

Interview Léa Pelletier-Marcotte

Bonjour pouvez-vous présenter ainsi que votre parcours ?

Je suis Léa Pelletier-Marcotte, je suis avocate auprès de la coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le VIH sida la COCQ-SIDA. Nous sommes situés à Montréal et nous regroupons plusieurs organismes communautaires québécois dans la province qui sont tous plus ou moins directement engagés dans la lutte contre le VIH sida. Cela fait 4 mois que j’y travaille, avant j’étais avocate en litige civil et commercial avec un métier de formation. Le communautaire c’est un peu un retour dans mon passé du droit de la personne et droit international 

Justement est ce que vous pouvez nous parler un peu plus de COCQ-SIDA et de leurs missions ?

On développe des axes de plaidoyers communs sur lesquels doivent s’entendre tous les organismes membres. Je travaille pour 5 services juridiques secteur droit et donc je suis un peu l’avocate de référence pour chacun des organismes communautaires dont le quel je siège.

Je suis un peu le « contentieux de COCQ-SIDA », on dit ça de façon comique mais c’est la réalité, j’y travaille à temps plein et ma collègue qui travaille au service VIH info droits qui est à temps partiel trois jours par semaine qui elle, gère vraiment le service de première ligne c’est-à-dire service d’information juridique non seulement pour les personnes vivant avec le VIH mais aussi pour les intervenants d’organismes membres, acteurs de la santé et même le corps policier parfois qui ont des questions qui ont attrait au VIH et mon secteur c’est de voir un peu quelles sont les situations qui sont portées à notre attention à travers ce service de première ligne et de voir les axes de plaidoyers qu’on peut développer ou qu’on doit renforcer, notamment la discrimination en emploi, toutes autres discriminations, mais aussi des problèmes en matière d’immigration et de criminalisation du statut sérologique.

Quelles sont pour vous les 3 dates clés de la lutte contre le sida ?

Je sais qu’il y a des dates charnières mais pour moi la date clé c’est ma prise de conscience. J’étais au secondaire, donc je devais avoir 12 / 13 ans fin 90 début des années 2000, on avait eu un conférencier à l’école qui parlait un peu du VIH et du Sida et aussi un peu d’éducation sexuelle. Il faisait une intervention pour nous montrer comment bien mettre un condom sur une banane, tout le monde trouvait ça très drôle et pendant la conférence une personne nous dit qu’à la deuxième partie de la conférence on va rencontrer une personne vivant avec le VIH.

Tout le monde s’est dit de quoi ça à l’air une personne qui vit avec le VIH parce que des jeunes de la banlieue aisée de Montréal qui n’ont plus ou moins jamais été confronté à ces situations à part la marchandisation autour du VIH. Il s’est avéré que la personne vivant avec le VIH c’était lui, il nous a raconté son histoire. C’est vraiment le moment où il y a eu un déclic, il y a eu quelque chose c’est toujours resté, je me suis toujours souvenu de ce moment-là, comme quoi on peut sensibiliser les gens d’une façon durable et efficace quand ils sont très jeunes. D’où l’importance que les personnes vivant avec le VIH soient aidées dans le développement de leur leadership car ce n’est pas facile, c’est un long parcours.

Dans quel contexte s’est créé la CCRCV ( Coalition Canadienne pour Réformer la Criminalisation du Vih) ?

C’était suite à une participation de plusieurs intervenants avocats, personnes vivant avec le VIH, dans une formation organisée aux Etats Unis qui s’appelle « HIV is not a crime » et donc plusieurs intervenants d’origine canadienne qui se sont retrouvés dans cette formation avec des intervenants des Etats Unis et qui ont eu l’idée suite à cette formation de se regrouper en coalition pour faire avancer un peu un changement d’approche au Canada en psychiatrie à la non divulgation des statuts sérologiques. On avait un problème criant, une augmentation des nombre de plaintes et nombre de condamnations, nombre de poursuites. Cet évènement a suscité un brainstorming chez plusieurs acteurs, il y a eu des rencontres puis la coalition est née.

L’augmentation de 11,6 % de nouveaux cas d’infections VIH au Canada en 2016 peut-il être en parti dû à cette criminalisation ? ou avez-vous pu identifier les causes de cette hausse ?

A notre avis la criminalisation peut être une source d’augmentation puisque la non connaissance de son statut peut être utilisé comme moyen de défense lors d’une poursuite en non divulgation. Cela peut réduire l’incitation au dépistage qui peut être fait et on sait que de nouvelles infections sont dues à des personnes aussi elles-mêmes récemment infectées ou qui ne connaissent pas leur séropositivité. On n’a pas de chiffres donc pas nécessairement  de preuves concrètes mais quand on parle avec des intervenants de la santé publique il y a un lien, une corrélation, qui peut être faite. La criminalisation et l’utilisation de non connaissance de son statut comme moyen de défense peut être un aspect à prendre en compte dans l’augmentation.

Quels sont les premiers impacts positifs des actions de la CCRCV et que reste-t-il encore à faire ?

Il reste beaucoup à faire ! Une première victoire : dès sa formation la coalition a œuvré en prenant en compte les volontés de chacun sur la réforme de l’approche canadienne en matière de criminalisation de la non divulgation. On a fait un grand recensement une grande consultation canadienne en prenant en compte les souhaits des intervenants, des personnes vivant avec le VIH  hospitalisées ou non, qui a mené à la publication d’une déclaration, d’un consensus dans lequel on exigeait plusieurs choses dans la réforme de l’approche en criminalisation.

Cette déclaration de consensus a été publiée officiellement fin novembre 2017 et après avoir bien auparavant dit qu’il y avait une volonté de revoir la criminalisation du VIH par le ministère de la justice fédérale, le 1er décembre 2017 il y a eu la sortie d’un rapport fédéral qui parle un peu de la nécessité de revoir l’approche canadienne sur la criminalisation du VIH et c’est un rapport important, majeur, qui dans sa rédaction a participé la coalition forte de son expertise, forte de sa crédibilité en impliquant les gens affectés qui ont très vite été consultés et donc sa participation a mené à l’aboutissement de ce rapport. Donc non seulement il y a eu la déclaration qui coïncidait avec l’issue du rapport mais il y a eu la participation de la coalition dans les étapes qui ont menés à la publication de ce rapport par le gouvernement fédéral canadien.

Donc il semble une volonté claire de l’agence de santé publique du canada et du ministère général de la justice qui confirme qu’il y a un problème et qu’il faut le changer donc c’est une victoire en soi. Cependant comment ça fonctionne au Canada c’est un peu plus complexe parce que c’est le fédéral qui gère le contenu du droit criminel mais c’est les provinces qui gère son application et sa portée. Le travail qui reste à faire c’est au niveau provincial pour s’assurer que la volonté du fédéral soit transcrite, soit traduite à travers des directives aux procureurs qui lorsqu’ils font face à une plainte en non divulgation sachent que la criminalisation ou déposer des accusations en agressions sexuelles graves n’est pas approprié.

Donc il reste beaucoup de travail à faire au niveau provincial, la majorité des provinces n’ont rien fait suite au dépôt du rapport fédéral qui lui travaille à l’écriture de directives semblerait-il au niveau des territoires parce que ce sont eux qui sont responsables de ces juridictions mais au niveau des provinces il reste du travail à faire. Et au niveau fédéral ce qu’il reste à faire c’est ce à quoi la coalition a participé, c’est réformer le code criminel, ou peut-être prévoir des dispositions spécifiques à la non divulgation, mais reste à voir la forme et l’étendu de ces recommandations.

 

Icône

Interview Léa Pelletier-Marcotte 607.84 KB - 7 avril 2018

Interview Léa Pelletier-Marcotte - AFRAVIH 2018 ...

 

Interview Alia Amimi

 

ITPC-MENA est la branche de la Coalition internationale de Préparation aux Traitements (ITPC), un groupe d’activistes et d’organisations qui plaident pour l’accès au traitement du VIH dans la région Afrique du Nord et Moyen Orient.

Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?

Je m’appelle Alia AMIMI. Je suis chargée de plaidoyer à ITPC-MENA. C’est la coalition internationale pour la préparation aux traitements, ça fait à peine un an que j’ai rejoint l’équipe, J’ai eu un parcours assez court pour rester honnête, j’ai travaillé un peu à la banque africaine de développement et avant j’ai eu quelques expériences au PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) et j’ai fait un master en gouvernance et intelligence internationale à sciences po.

Est-ce que vous pouvez présenter ITPC MENA ?

C’est une ONG qui fait partie de la famille ITPC globale, il y’a plusieurs régions (Afrique du nord et Moyen-Orient ça va de la Mauritanie au Pakistan) et on travaille principalement sur les questions en rapport aux règles de propriété intellectuelle qui peuvent entraver l’accès aux traitements dans la région maintenant on héberge aussi la plateforme du front mondial pour la communication et la coordination. Nos missions englobent principalement les objectifs tels que l’accès universel aux traitements, l’accès aux ARV, l’amélioration des conditions de vie des personnes séropositives, la transparence dans les processus de financement.

Quelles sont pour vous les 3 dates clés de la lutte contre le Sida ?

L’année 1996 c’est l’arrivée des ARV pour traiter les personnes séropositives. 2003 le début du fond mondial au Maroc pour pouvoir financer des projets tels que ceux des associations de lutte contre le sida, création du CCM. 2015 c’est la création d’ITPC MENA pour favoriser l’accès aux traitements dans la région puisque c’est une des régions qui a moins accès aux traitements dans le monde entier, c’est une région où il le taux de prévalence et le moins élevé au monde mais qui connait le nombre de décès le plus élevé.

Pensez-vous qu’en Afrique du Nord il y a une plus grande place qui est donnée aux activistes pour la prise en charge des personnes vivant avec le VIH et est ce qu’il est bénéfique ?

Les activistes ont de plus en plus de place et un rôle incontournable dans la prise en charge des patients parce que c’est grâce à des ONG et à la société civile qu’on a pu mettre en avant les enjeux et les défis qui sont liés à l’accès aux médicaments. Avant certaines personnes n’avaient aucune information au sujet de leur statut, au sujet du traitement qu’il devait prendre et tout ce qui est en rapport avec le virus du sida.

Maintenant des associations prennent en charge les personnes pour le dépistage, la prévention, pour sensibiliser l’opinion public à ce sujet. Je pense qu’ils ont un rôle de plus en plus important et que peut-être ils devraient être intégrés dans les discussions institutionnelles pour donner leur avis, leur point de vue parce que c’est eux qui sont en contact direct avec les gens, mais là peut être qu’en raison de la stigmatisation, de la marginalisation et la perception du sida ils ont encore des difficultés à atteindre les objectifs qu’ils se fixent.

Depuis 2015 nous accueillons la plateforme régionale de coordination et de communication du fond mondial et nous avons été reconduits l’année passée jusqu’en 2020. Les objectifs de cette plateforme sont d’améliorer la connaissance et la participation des acteurs de la société civile et des groupes communautaires sur les processus liés aux subventions du fond mondial,  améliorer l’impact des programmes du fond mondial et de la riposte aux 3 pandémies grâce aussi à un engagement renforcé de la société civile et des groupes communautaires touchés par le VIH, la tuberculose, le paludisme, élargir l’accès à l’assistance technique à la société civile et des groupes communautaires grâce à une meilleure coordination entre ITPC MENA l’initiative stratégique CRG du Fonds mondial et les autres partenaires, résistance technique type Expertise France et autres, soutenir les initiatives stratégiques de renforcement des capacités au profit de la société civile et des communautés en favorisant l’espace d’engagement et de participation collective au processus décisionnel clé et en particulier en ce qui concerne la communauté, le droit et le genre.

Depuis 2015 on essaye de coordonner tout ce qui est avec la société civile pour renforcer leur participation genre au CCM (Country Coordination Mecanismed) où il y a des représentants des populations clés et des personnes vivant avec les 3 pandémies VIH tuberculose et malarias, des HSH, des travailleurs du sexe et des usagers de drogues injectables. Notre rôle, c’est de s’assurer ces personnes-là ont les capacités et un rôle effectif pour participer et engager dans toutes les discussions et dans toutes les décisions du fond mondial dans les différents pays où il y a ces subventions-là.

Pouvez-vous revenir sur votre action à Abidjan concernant le prix d’un médicament ARV dont le brevet a été cédé à l’ensemble de l’Afrique sauf pour l’Algérie ?

En marge de l’organisation de la 19ème conférence ICASA en décembre 2017 à Abidjan, ITPC-MENA a organisé une action de solidarité pour l’inclusion du Dolutégravir qui est un médicament destiné aux premières lignes et troisièmes lignes, c’est un antirétroviral de dernière génération il a moins d’effets secondaires, il est moins toxique, les gens ne vont pas forcément développer de résistances quand ils le prennent. Le laboratoire ViiVHealthcare qui a produit ce médicament a permis au continent africain d’y avoir accès, d’avoir accès au brevet qui coute beaucoup moins cher sauf pour l’Algérie. Ils estiment que l’Algérie est un pays en transition, ce n’est pas un pays à revenus faible ou intermédiaire.

Les pays africains auront le générique à 41 dollars environ à peu près par patient et par an sauf les pays d’Afrique du Nord du Maghreb qui eux ont bénéficié d’un accord entre la fondation de Child et Bill Gates pour avoir le générique à 75 dollars et l’Algérie par contre doit payer 14 000 dollars par patient et par an. On a donc décidé de mener cette action pour mettre en lumière cette problématique et d’alerter le gouvernement algérien, la société civile algérienne, de l’injustice envers ce pays.

Nous avons aussi rencontré les représentants du laboratoire ViiVHealthcare lors d’un espace d’échange et de dialogue entre les représentants de la société civile et ceux de l’industrie pharmaceutique, on le fait chaque année et on a abordé cette question. On a demandé pourquoi l’Algérie est le seul pays qui est exclu, ils ont indiqué que ce n’est pas un marché stratégique pour eux mais c’est une référence pour les autres pays comme la Russie l’Argentine qui pourraient eux aussi être intégrés dans la licence volontaire qui permet d’avoir accès aux génériques.

Donc on a mobilisé toutes les associations et les organisations qui étaient présentes à ICASA pour mener une action de solidarité et pour essayer de sensibiliser les personnes sur ce sujet. Les brevets abusifs sont une des problématiques sur lesquels on travaille incessamment et on souhaite l’accès universel aux médicaments, on est contre les brevets abusifs.

Enfin ma dernière question, comment s’est organisé la manifestation générale à Marrakech en décembre 2017 ? quels ont été les obstacles et quelles réussites ?

C’était à l’occasion de la journée internationale de lutte contre le sida le 1er décembre. Nous avons décidé de signer la déclaration de Paris et de mobiliser la mairie de Marrakech pour que la ville s’engage à éradiquer le sida d’ici 2030. C’était en partenariat avec l’ALCS (Association de Lutte Contre le Sida), la mairie de Paris, la mairie de Séville qui est une ville jumelée avec Marrakech et ITPC-MENA. Les représentants ont signé la déclaration et Marrakech s’est engagé à éradiquer le sida. On a eu des actions parallèles à cette déclaration, on a préparé des sets de table pour sensibiliser les gens au dépistage, à la prévention du sida et on les a distribués sur la place Jemaa el-Fna. Pendant la période du 1er au 14 décembre on a aussi mené des actions telles que l’illumination de l’hôtel de ville de Marrakech avec le symbole du ruban rouge du sida pendant plus de 3 jours.

Les obstacles on a pas eu réellement d’obstacles les représentants de la mairie étaient vraiment motivés à participer, à s’engager, à mobiliser tous les volontaires de l’ALCS de la section de Marrakech pour aller parler aux gens, pour les sensibiliser.

Ce qu’il faut peut-être retenir aussi que ITPC-MENA existe depuis 2015 et qu’on entretient d’excellentes relations entre la mairie de Marrakech et avec toutes les instances officielles décisionnelles de la région de Marrakech et aussi au pays, c’est pour cela que ce n’a pas été tellement difficile finalement que Marrakech se mobilise. C’était la deuxième ville qui a signé l’engagement d’éradiquer le sida d’ici 2030 après Casablanca.

Concernant la population de Marrakech il n’y a pas eu de réticences, on a discuté avec beaucoup de monde, ils étaient vraiment contents de voir des actions qui avaient lieu pour sensibiliser la population et plutôt les adolescents.

 

Icône

Interview Alia Amimi 838.17 KB - 7 avril 2018

Interview Alia Amimi  - AFRAVIH 2018 ...