Portraits d’acteurs Jean-Marie Masumbuko et Emilie Seck
AFRAVIH 2018 jeudi 5 avril : Portraits d’acteurs Jean-Marie Masumbuko et Emilie Seck
Interview d’ Emilie Seck
Emilie est-ce que tu peux présenter un peu ton parcours pour arriver jusqu’à Solidarité Sida et puis expliquer aussi qu’est-ce que Solidarité Sida ?
J’ai fait des études. J’ai un master en santé publique en action de sanitaire et sociale. Pendant mon master, j’ai travaillé sur la sexualité des jeunes, en faisant un premier stage au planning familial et un deuxième dans une association au Sénégal où j’ai travaillé sur la pénalisation du VIH. Ensuite, j’ai intégré solidarité sida en tant que service civique et finalement je suis restée. J’y suis toujours actuellement, en tant que chargée de prévention.
La première mission de Solidarité Sida est d’organiser des évènements pour récolter des fonds. On a fait le choix d’organiser des évènements donc de faire du don direct par exemple. On organise par exemple le festival Solidays, qui est l’évènement le plus connu. On organise aussi un gala. Notre idée c’est vraiment d’organiser un évènement pour récolter des fonds qui soient reversés ensuite en France et à l’international à des associations d’aide aux malades, de soutien aux personnes vulnérables ou à des projets de prévention. A côté de cela, on a aussi une mission de prévention en France. Le pôle prévention mène des actions en Ile de France et auprès des lycéens dans la France. On intervient autant auprès de la population générale type foyers jeunes travailleurs qu’auprès des populations clés notamment dans le quartier gay du marais et dans le milieu festif auprès des usagers de drogue ou encore en détention.
Quelles sont pour vous les dates clés importantes dans la lutte contre le sida ?
C’est l’arrivée des traitements en France donc en 1996. Une date importante puisqu’avant ça il n’y avait pas de traitement disponible. J’ai aussi en tête 1987, avec deux dates importantes cette année-là : l’autorisation de la publicité pour les préservatifs en France ; puisque jusqu’à là elle a été interdite, et le programme d’échanges de seringues.
Vous êtes sur le congrès AFRAVIH aussi pour la plateforme ELSA, pouvez-vous nous expliquer qu’elle est cette structure ?
C’est une plateforme collaborative entre des associations comme SOLTHIS, le planning familial, Solidarités Sida et Sidaction. Le but est de favoriser les échanges de bonnes pratiques, d’expériences autant sud-sud entre les différents acteurs associatifs qui sont représentés mais aussi nord-sud et nord-nord. Il y a, par exemple, un centre de ressources disponible sur internet avec des fiches pays, des fiches thématiques pour vraiment être en renforcement de capacité et capitalisation aussi sur les bons savoirs faire et qu’une fois que quelqu’un a une bonne idée on puisse aussi la transmettre aux autres, qu’elles puissent donner d’autres idées.
Vous parliez tout à l’heure du festival Solidays, pensez-vous qu’un festival comme Solidays soit initié dans un autre pays ou existe-t-il un autre festival avec le même but dans le monde ?
Je ne crois qu’il existe un autre festival avec ce but-là. Au festival Solidays, on fait venir chaque année des partenaires internationaux. Ils sont une vingtaine à venir chaque année et évidemment, à chaque fois, ça leur donne envie, ça leur donne des idées pour faire les mêmes initiatives dans leurs pays. Pour moi, c’est quelque chose qui est possible mais évidemment dans des contextes différents. Il y en a plein qui ont cette idée là, mais pour l’instant, cela ne s’est jamais fait. Un autre évènement qu’on peut organiser comme le gala, a déjà donné des idées pour faire des soirées charités à d’autres associations. Donc je pense que petit à petit cela peut se mettre en place et que peut-être qu’un jour, on aura un festival qui permet de lever des fonds pour la lutte contre le sida en Afrique.
Pouvez-vous nous parler des futurs projets de Solidarité Sida ?
Un futur projet qui s’appelle FORSS sur la zone Moyen-Orient / Afrique du Nord. C’est une zone où on a vraiment peu de données. L’idée est de faire un observatoire en Mauritanie. C’est un pays où le décaissement du fonds mondial est très faible, on est autour de 6 %. Il y a peu de données sur les populations clés et peu d’accès au dépistage. L’idée est qu’une association porte ce projet et qu’on puisse avoir des données pour faire du plaidoyer. C’est un projet important qui va commencer au mois de mai et qui sera porté par Solidarité Sida avec le soutien de l’initiative 5 %. Côté prévention, nous avons aussi des projets de proposer à nouveau une exposition qui s’appelle « Sex in the city ». Une exposition de prévention avec un parcours dédié aux plaisirs, à la sexualité avant d’aborder les risques. On aimerait bien ressortir cette exposition à Paris mais aussi travailler sur un projet pour en faire une exposition itinérante, qu’elle puisse toucher d’autres villes en France.
Interview Jean-Marie Masumbuko
Pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas encore, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Jean-Marie MASUMBUKO. Je suis ivoirien d’origine burundaise. Je vis en Côte d’Ivoire depuis 30 ans et je suis engagé dans la lutte contre le sida depuis 25 ans. Le créneau ONG qui s’appelle ruban rouge Côte d’Ivoire et après j’ai eu une deuxième vie de chirurgien pédiatre avant de revenir à mes premiers amours que sont le sida. Depuis une dizaine d’années, je suis à fond dans le VIH dans des programmes de développement d’accès aux soins et des populations clés en général. Voilà brièvement résumé ces 25 dernières années.
Dans quelle structure travaillez-vous et quelles sont ses missions ?
Je travaille pour PACSI qui est un site de l’ANRS en Côte d’Ivoire. C’est un centre de recherche. Nous faisons de la recherche clinique méthodologique, épidémiologique et opérationnelle depuis une vingtaine d’années. C’est vraiment une des structures de référence en matière de recherche en Côte d’Ivoire et même dans la sous-région. Une des grandes réussites de PACSI est la grande étude qu’on a appelée TEMPRANO qui a montré l’intérêt de faire des traitements précoces. Cela a permis de changer les directives de l’OMS qui ont abouti au Test and Treat. Cela a montré l’efficacité d’un traitement précoce pour le survie des personnes.
Quelles sont deux ou trois dates clés de la lutte contre le sida pour vous ?
Personnellement, je suis africain. C’est l’arrivée des traitements qui ont vraiment changé notre vie ; en fait la vie des malades, la vie des médecins et la vie des militants. Moi, j’ai commencé dans le sida en tant que militant. C’est vrai que je faisais des études de médecine. Je suis devenu médecin et quand je finissais ma médecine ; à savoir en 96 ; il n’y avait pas de médicaments accessibles pour les personnes qui en avaient besoin. Les premières molécules sont réellement arrivées en 97- 98. Nous, quand on découvre le VIH, on a 20/ 21 ans et à cette époque le sida était égal à mort car il n’y avait pas de traitement. L’arrivée du traitement a été, pour moi, un chamboulement complet mais surtout l’accessibilité à la plus grande population, avec l’accès gratuit en Côte d’Ivoire en 2007-2008. Cela fait 10 ans que l’accès est vraiment universel en tout cas en Côte d’Ivoire. Sinon, les autres dates, sont les avancées scientifiques lorsque les premières preuves d’efficacité du traitement ont montré qu’une personne infectée et sous traitement n’infecte plus son partenaire, cela a été un grand chamboulement. Maintenant, dans les nouvelles approches, comme la prévention ; à savoir la PrEP, je suis actuellement responsable d’un projet de la faisabilité de la PrEP chez les travailleurs du sexe en Côte d’Ivoire.
Vous présentez un projet autour des travailleurs du sexe, sur la conférence, pouvez-vous nous en dire plus ?
Comme vous le savez, la PrEP est devenue, entre guillemets, la grande mode. Depuis les deux grandes études Ipergay et Prod, qui ont montré leur efficacité chez les HSH en Europe et aux Etats-Unis. Très peu de données étaient réellement accessibles en Afrique de l’ouest surtout en Afrique du sud subsaharienne. En Afrique austral, ils sont un peu en avance sur certaines études mais réellement en Afrique de l’ouest pas grand-chose avait été mené donc depuis deux ans grâce à l’ANRS et un financement de la fondation Bill GATES, nous menons une étude de faisabilité de la PrEP chez les travailleurs du sexe. Avant de la débuter, il fallait faire une estimation de l’incidence. Comme vous savez, l’OMS préconise que la PrEP soit prodiguée dans les populations où l’incidence est élevée au-delà de 3 % et nous avons pu faire une étude de coïncidence chez les travailleurs du sexe dans deux grandes villes à Abidjan et à San-Pedro. Les résultats nous ont fortement surpris car il y a une différence d’incidence et de vulnérabilité des travailleurs du sexe entre Abidjan et San-Pédro. A Abidjan, on avait une incidence autour de 1,6 % chez les travailleurs du sexe contre 3,6 % à San-Pédro. Ceci démontrait que lorsque l’on parle de populations clés, il faut spécifier : toutes les prostituées ne sont pas vulnérables au même niveau. Il y en a qui ont accès à l’information, l’accès à la prévention et qui vont systématiquement se protéger donc peut-être pas besoin de la PrEP mais uniquement de l’accès aux préservatifs. D’autres qui n’ont même pas d’accès aux préservatifs et prennent des risques. Je pense donc, que la mise en place d’un programme de la PrEP doit vraiment tenir compte des spécificités régionales et pas seulement du lancement d’un vaste projet qui fonctionne ailleurs. C’est important que chaque pays, même chaque ville fasse une étude de sa réalité sociologique, et anthropologique épidémiologique avant de mettre en place ces nouveaux produits de prévention.
La PrEP nécessite un suivi biologique avec des rendez-vous réguliers, est-ce que par rapport à la vie des travailleurs du sexe, cela n’est pas trop contraignant et y’a-t-il une bonne observance dans la population ?
C’est vrai que cette interview est rapide pour pouvoir tout développer. Nous nous sommes rendu compte de l’importance d’un encadrement par les cliniques communautaires. La notion de communautaire est fondamentale. La PrEP ne pourra marcher, en tout cas dans notre expérience que nous avons montrée, que lorsque la population clé concernée, que ce soit les HSH comme les travailleurs du sexe ou bien les usagers de drogue, se retrouve dans un environnement où elle peut être suivie ou acceptée, elle ne sera pas discriminée ni stigmatisée. Pour l’instant, ces réalités n’existent que dans les structures communautaires qui sont déjà habituées à faire de la sensibilisation, de la prévention et de la prise en charge de ces populations clés notamment des travailleurs du sexe. Il est donc fondamental que nos politiques africaines encouragent ce genre de structures pour qu’elles existent dans tous les pays. Il faut que ce soit elles qui soient vraiment en première ligne pour porter le message de la PrEP et surtout le suivi aussi bien médical que social. En effet, à côté du volet médical, il faut que se soient elles qui répondent aux autres questions. L’enquête que nous avons mené en Côte d’Ivoire, auprès de 1000 femmes à Abidjan et 400 à San-Pédro, a montré qu’au-delà de la PrEP, les travailleurs du sexe avaient de véritables questions en santé sexuelle reproductive, sur la contraception et même sur la gestion des menstruations. Les questions que les gens n’ont pas toujours l’habitude d’aborder quand on est focalisé sur le VIH. Une des questions qui est souvent et qui est vraiment très parlante, à mon avis : en cas de rupture du préservatif avec un client, les travailleuses du sexe ne connaissent pas leur première angoisse au sujet du VIH mais plutôt la peur de la grossesse. Si on n’arrive pas à répondre à ce genre de question, on passe à côté. La PrEP ne pourra se concevoir que dans un environnement de santé sexuelle globale.
Quelle est la place et reconnaissance des acteurs communautaires dans la recherche ?
Elle est fondamentale sans les communautaires, sans les structures spécialisées, sans les cliniques, sans l’inventivité de ces cliniques communautaires où il y a le volet à la fois préventif mais surtout prise en charge, il n’y aura pas de réussite de la PrEP. Il est fondamental que les communautaires soient vraiment en première ligne de l’accès à la PrEP mais surtout de la mise en place et du suivi parce qu’il ne suffit pas juste de distribuer des comprimés. Il faut aussi suivre la personne, l’encadrer, savoir où elle en est, comment l’aider, répondre à ses autres questions et cela notre système classique public ne répond pas à toutes ces problématiques. Pour l’instant, c’est le communautaire qui arrive à le faire et c’est vraiment ce communautaire là qu’il faut mettre en première ligne parce que c’est vraiment eux qui sont au front.
Interview Jean-Marie Masumbuko 108.91 KB - 6 avril 2018
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